De l'épicerie au Prix Nobel
Article paru dans l’Astro Gazette de la FDAF – Juin 2024, n° 236
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| TN d'Annie Ernaux |
Il est amusant de constater que dans son ouvrage Se Perdre (Gallimard, 2001), elle écrit à la date du vendredi 13 janvier 1989 : « Si, comme le disent les horoscopes, Vénus est dans mon signe, cela ne se voit pas. » L’ouvrage est consacré à l’une de ses histoires d’amour, une passion dévorante et avide qui la livre au désir le plus cru.
Nous pouvons considérer que Mercure Vierge, en domicile, Maître de X, en conjonction serrée à Lune, Mars et Soleil en IX, signe parfaitement notre autrice, symbole évident de « transfuge social », comme on peut le lire ici ou là. Elle dit elle-même qu’elle voulait « venger sa race » et il n’est pas étonnant que sa sensibilité politique et sociale la tournent très tôt vers le parti communiste.
La Vierge, si l’on en croit les manuels de notre enfance astrologique, ne se prête guère aux feux de la rampe : discrète, elle analyse, discrimine et tamise.
Ce que fait Mme Ernaux tout au long de son existence et de ses livres, nous abreuvant de détails matériels sur trois sujets essentiels : son enfance pauvre, ses amours malheureuses et son écriture qu’elle souhaite neutre, plate ou « blanche », selon la terminologie adoptée par les tenants de la Nouvelle Littérature : elle aligne scrupuleusement et sur un mode mineur les petits faits d’une existence banale, parvenant toutefois à les transcender et, en partant du particulier, atteindre le général.
Hors de là, point de salut. Hors de l’écriture, dois-je le préciser. Vivre sans écrire n’est point vivre. Elle écrit dans Se perdre : « L’ordre de la vérité ne peut être que dans l’écriture, non dans le vie. » C’est cette passion dévorante, cette obsession peut-être aliénante de l’écriture, « la nécessité absolue d’écrire » dit-elle, que j’aimerais examiner aujourd’hui avec vous.
La Maison III en Verseau, individualiste, indique un attrait pour l’originalité. Uranus R, en chute en Taureau est toutefois sextile à son Maître, Vénus (elle-même sextile au MC), et surtout trigone à ce MC conjoint Neptune, Maître de IV, en exil. La Maison IV de son enfance où rayonne obscurément la Lune Noire en opposition. C’est ici que réside la blessure initiale qui la poussera vers ce qu’il faut bien nommer un destin relativement exceptionnel.
Cet Uranus en VI témoigne de son esclavage quotidien pour l’écriture, mais un esclavage qu’elle aime et nourrit chaque jour avec ses journaux intimes où elle note précisément, presque cliniquement, les micro-événements de son existence.
Un autre aspect intéressant est le carré (assez large) d’Uranus au stellium en Vierge et à l’Ascendant, preuve d’un combat incessant et d’un dépassement de soi. Annie Ernaux avoue qu’elle souffre en écrivant, il n’en faut point douter. Mars est en effet Maître de V – les joies de l’écriture ne sont pas facilement données –, le Soleil de IX – pas plus que la facilité dans les longues études littéraires –, Mercure de la X – et pas davantage son épanouissement professionnel en tant qu’enseignante –, avouant dans Les Années : « être prof me déchire », abandonnant assez tôt la présence des élèves pour corriger les copies du CNED, Et pourquoi donc ? Pour écrire, bien sûr !
S’ajoute à cet amas masculin la Lune en pleine confusion, Maître de VIII, tout cela en Vierge, signe de Terre pragmatique et bien loin de toute fantaisie et inventivité littéraires. Annie, fille de la campagne normande, ne décrit rien, jamais. Elle officie uniquement en comptable de son existence. Certains lui reprochent de se désintéresser dans ses ouvrages (en dépit de ses prise à parti politiques dans le monde réel) du monde extérieur et des grands événements sociétaux. C’est que Jupiter, Maître de I, subit la chape de plomb de Saturne sur le cuspide de la VI Taureau, modérant quelque peu son enthousiasme pour les grands idéaux de fraternité. L’abstraction un peu hautaine, parfois suffisante et égocentrique d’Uranus lui suffit car c’est par elle qu’elle communique avec l’humanité : elle prônera la liberté à travers ses écrits, du moins sa liberté personnelle, s’arrachant ainsi à son milieu natal, à l’épicerie-café de ses parents, à sa jeunesse modeste et à son sentiment d’exclusion.
Le prix Nobel, dont certains dénièrent la pertinence de l'attribution, couronna dignement son parcours en 2022.
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