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Apollinaire sous les astres

Une lecture zodiacale de la modernité poétique

PREMIERE PARTIE

- UN ASTROLOGUE QUI S'IGNORE ? -  

Guillaume Apollinaire propose le poème « Signe », où l’on pressent une allusion à l’astrologie.

Signe

Je suis soumis au Chef du Signe de l'Automne

Partant j'aime les fruits je déteste les fleurs

Je regrette chacun des baisers que je donne

Tel un noyer gaulé dit au vent ses douleurs

 *

Mon Automne éternelle ô ma saison mentale

Les mains des amantes d'antan jonchent ton sol

Une épouse me suit c'est mon ombre fatale

Les colombes ce soir prennent leur dernier vol

_ _ _ 

L’une des dénotations du terme « Signe » est d’ordre astrologique : le poète est né un 25 août, au tout début du Signe de la Vierge, saison des récoltes, à l’orée de l’automne donc – et mourra en novembre, au mitan de la saison. Prémonition ? Intuition ? 

Le premier vers donne le ton : « Je suis soumis au Chef du Signe de l’Automne », écrit-il. Notons l’emploi des majuscules qui donnent de l’importance à ces termes. Quel est ce « Chef » ? Mercure gouverne la Vierge, Vénus la Balance, et Pluton le Scorpion. Aucun ne semble convenir : Pluton ne fut découvert que dans les années Trente. Vénus gouverne l’amour et Mercure le mental. Rien ne nous dit qu’Apollinaire soit féru d’astrologie, à part le mot « signe » : peut-être a-t-il conscience que chacun est « soumis » à un Maître, un « Gouverneur » dit-il. On distingue ici une acceptation du fatum... »

Allons plus loin 

En lisant le recueil Alcools, on ne peut qu'être frappé par le nombre de poème consacrés à l’automne (une dizaine), preuve s'il en fallait une de la prégnance de cette naissance dont il ne retient que l'aspect mélancolique. 

Guillaume Apollinaire est né le 26 août 1880 à 5h00' à Rome (Italie), ASC : 28°36’ Lion, Lune 16° 35’ Taureau.

 

TN d'Apollinaire
TN d'Apollinaire

L’Ascendant à l’extrême fin du Lion et l’amas planétaire en Vierge (Soleil, Uranus, Vénus et Mars) trigone à la conjonction Lune/Neptune en Taureau et en Maison IX indiquent chez lui l’importance de l’élément Terre et son désir de jouissance, hélas réfréné ou en tout cas freiné par Saturne également en IX trigone Soleil (en Maison XII) et Maître du NN en Capricorne et en Maison V. La Maison des joies, des plaisirs, des amours et de la création sous l’influence saturnienne est de sombre augure pour le bonheur calme et paisible réclamé par le Taureau. L’écriture mercurienne, relativement flamboyante en Lion est contrecarrée par la Maison XII où Mercure est carré à la conjonction Lune/Neptune. La Maison III de l’écriture est en Balance et Vénus, son Maître, trigone à ladite conjonction, ce qui lui prête une allure rêveuse et harmonieuse, non absente de l’originalité uranienne en conjonction (large) à Vénus.

Cette Lune imaginative et féconde qui imprègne son œuvre est Maître du NS en Cancer, qu’il faut abandonner quelque peu afin de se diriger vers ce NN en Capricorne, un signe inflexible et rigoureux, voire sévère.

Notons que le Maître du NN est Jupiter R (la rétrogradation impliquant une intériorisation de la planète), heureusement trigone Mercure. L’écriture est sauvée mais non le bonheur.

Un bon exemple de cette démonstration est le poème « Les Colchiques » (Alcools, 1913).    

Le pré est vénéneux mais joli en automne

Les vaches y paissant

Lentement s’empoisonnent

Le colchique couleur de cerne et de lilas

Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là

Violâtres comme leur cerne et comme cet automne

Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne

Les enfants de l’école viennent avec fracas

Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica

Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères

Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières

Qui battent comme les fleurs battent au vent dément

Le gardien du troupeau chante tout doucement

Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent

Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne.

= = = 

Dans son recueil Calligrammes, Apollinaire écrit : 

« Tout le monde est prophète, mon cher André Billy,

Mais il y a si longtemps qu’on fait croire aux gens

Qu’ils n’ont aucun avenir et qu’ils sont ignorants à jamais

Et idiots de naissance

Qu’on en a pris son parti et que nul n’a même idée

De se demander s’il connaît l’avenir ou non.

Il n’y a pas d’esprit religieux dans tout cela

Ni dans les superstitions ni dans les prophéties

Ni dans tout ce qu’on nomme occultisme.

Il y a avant tout une façon d’observer la nature

Et d’interpréter la nature

Qui est très légitime. »

= = = 

Conclusion partielle

Le dialogue entre calligrammes et vers libres dans l’œuvre d'Apollinaire reflète la force d’une structure astrale fixe et bien dessinée dans l'espace, alliée à la liberté uranienne qui aime la fluidité d'un langage en mouvement.  

DEUXIEME PARTIE

Complétons l'analyse. 

Le stellium en Vierge (Soleil, Uranus, Vénus et Mars) accentue l’importance de ce signe chez Apollinaire, d’autant que ces planètes sont en trigone aux planètes en Taureau (Pluton, MC, Lune et Neptune). Quant à Saturne en Bélier, il est trigone partil à l’ASC. On peut dire que Saturne est le maître par interception de la Maison V de la création et des amours. On connaît ses amours malheureux, d’autant plus douloureux qu’ils sont profonds (Vénus trigone Lune) mais non dénués d’illusions (conjonction Lune / Neptune). Vénus est Maître de III Balance (l’écriture) mais Mercure (l’intellect) en XII Lion (sous la maîtrise du Soleil) carré Lune renforce cette tendance aux fantasmes et à la rêverie.

   On est également frappé par l’importance de la Maison I et donc de son Moi qu’il exprime dans ses écrits. L’AS trigone partil à Pluton, planète de génération, Maître de IV (le foyer, mais aussi les attaches familiales et la patrie) indique la soumission d’Apollinaire à la transcendance plutonienne : d’origine polonaise, il naît en Italie, voyage en Allemagne, vit en France (que de remises à zéro !) qu’il défend lors de la Grande Guerre.   

   Notons enfin que le NN (son projet de vie) est en V Capricorne : créer et aimer certes, mais à l’intérieur de limites assez contraignantes : le NS en XI Cancer précise les tendances innées et lunaires d’Apollinaire.  Il s’agit en un sens de mettre l’imagination et la rêverie au service de Saturne, et ce n’est pas une mince affaire !  Saturne est le Grand Pessimiste du Zodiaque et l’on retrouve dans son œuvre une profonde mélancolie. En témoignent les titres de ses recueils : L’Enchanteur pourrissant, Le poète assassiné, Le Guetteur mélancolique entre autres.

* * *