Les influences célestes derrière la mélancolie baudelairienne
1/ Dans Les Fleurs du mal (1857), Baudelaire propose le poème ci-dessous, titré « La Vie antérieure » (section « Spleen et Idéal », pièce XII)
J'ai longtemps habité sous de vastes portiques
2/ Dans Le Spleen de Paris, Baudelaire propose un texte étrange, titré Le Destin - Les Dons des fées, sur lequel nous reviendrons plus loin :
Toutes ces antiques et capricieuses Sœurs du Destin, toutes ces Mères bizarres de la joie et de la douleur, étaient fort diverses : les unes avaient l'air sombre et rechigné, les autres, un air folâtre et malin ; les unes, jeunes, qui avaient toujours été jeunes ; les autres, vieilles, qui avaient toujours été vieilles.
Tous les pères qui ont foi dans les Fées étaient venus, chacun apportant son nouveau-né dans ses bras.
Les Dons, les Facultés, les bons Hasards, les Circonstances invincibles, étaient accumulés à côté du tribunal, comme les prix sur l'estrade, dans une distribution de prix. Ce qu'il y avait ici de particulier, c'est que les Dons n'étaient pas la récompense d'un effort, mais tout au contraire une grâce accordée à celui qui n'avait pas encore vécu, une grâce pouvant déterminer sa destinée et devenir aussi bien la source de son malheur que de son bonheur.
Les pauvres Fées étaient très affairées ; car la foule des solliciteurs était grande, et le monde intermédiaire, placé entre l'homme et Dieu, est soumis comme nous à la terrible loi du Temps et de son infinie postérité, les Jours, les Heures, les Minutes, les Secondes.
En vérité, elles étaient aussi ahuries que des ministres un jour d'audience, ou des employés du Mont-de-Piété quand une fête nationale autorise les dégagements gratuits. Je crois même qu'elles regardaient de temps à autre l'aiguille de l'horloge avec autant d’impatience que des juges humains qui, siégeant depuis le matin, ne peuvent s'empêcher de rêver au dîner, à la famille et à leurs chères pantoufles. Si, dans la justice surnaturelle, il y a un peu de précipitation et de hasard, ne nous étonnons pas qu'il en soit de même quelquefois dans la justice humaine. Nous serions nous-mêmes, en ce cas, des juges injustes.
Aussi furent commises ce jour-là quelques bourdes qu'on pourrait considérer comme bizarres, si la prudence, plutôt que le caprice, était le caractère distinctif, éternel des Fées.
Ainsi la puissance d'attirer magnétiquement la fortune fut adjugée à l'héritier unique d'une famille très riche, qui, n'étant doué d'aucun sens de charité, non plus que d'aucune convoitise pour les biens les plus visibles de la vie, devait se trouver plus tard prodigieusement embarrassé de ses millions.
Ainsi furent donnés l'amour du Beau et la Puissance poétique au fils d'un sombre gueux, carrier de son état, qui ne pouvait, en aucune façon, aider les facultés, ni soulager les besoins de sa déplorable progéniture.
J'ai oublié de vous dire que la distribution, en ces cas solennels, est sans appel, et qu’aucun don ne peut être refusé.
Toutes les Fées se levaient, croyant leur corvée accomplie ; car il ne restait plus aucun cadeau, aucune largesse à jeter à tout ce fretin humain, quand un brave homme, un pauvre petit commerçant, je crois, se leva, et empoignant par sa robe de vapeurs multicolores la Fée qui était le plus à sa portée, s'écria :
« Eh ! Madame ! Vous nous oubliez ! Il y a encore mon petit ! Je ne veux pas être venu pour rien. »
La Fée pouvait être embarrassée ; car il ne restait plus rien. Cependant elle se souvint à temps d'une loi bien connue, quoique rarement appliquée, dans le monde surnaturel, habité par ces déités impalpables, amies de l'homme, et souvent contraintes de s'adapter à ses passions, telles que les Fées, les Gnomes, les Salamandres, les Sylphides, les Sylphes, les Nixes, les Ondins et les Ondines, - je veux parler de la loi qui concède aux Fées, dans un cas semblable à celui-ci, c'est-à-dire le cas d'épuisement des lots, la faculté d'en donner encore un, supplémentaire et exceptionnel, pourvu toutefois qu'elle ait l'imagination suffisante pour le créer immédiatement.
Donc la bonne Fée répondit, avec un aplomb digne de son rang : « Je donne à ton fils... je lui donne... le Don de plaire ! »
« Mais plaire comment ? Plaire...? Plaire pourquoi ? » demanda opiniâtrement le petit boutiquier, qui était sans doute un de ces raisonneurs si communs, incapable de s'élever jusqu'à la logique de l'Absurde.
« Parce que ! Parce que ! » répliqua la Fée courroucée, en lui tournant le dos ; et rejoignant le cortège de ses compagnes, elle leur disait : « Comment trouvez-vous ce petit Français vaniteux, qui veut tout comprendre, et qui ayant obtenu pour son fils le meilleur des lots, ose encore interroger et discuter l'indiscutable ?
3/ Toujours dans Le Spleen de Paris, le poète propose quelques réflexions sur "Les Bienfaits de la Lune", poème en prose où quelques allusions évoquent la symbolique lunaire.
(1) La Lune maîtrise le Cancer, signe d’Eau.
(2) La Lune symbolise dans le corps humain la gorge et le cou.
3/ Le topos de la mort
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;
*
Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;
*
Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
*
Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.
*
- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
Quelques hypothèses astrologiques
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| TN de Baudelaire |
La Lune est en XI Cancer en domicile trigone à la conjonction Pluton/Mercure en VII Poissons mais carré Soleil en VIII Bélier. Le Nœud Sud est conjoint à l’Ascendant en I Vierge (il semblerait que Baudelaire redouble sa classe dans les mêmes conditions que des vies antérieures) et le Nœud Nord en VII Poissons, avec son Maître Neptune R conjoint Uranus R en IV Capricorne carré Mars et Vénus en Bélier. La Lune Noire en I accentue une fatalité lisible dans le thème. Certes, il faut apprendre (réapprendre) les valeurs du couple mais Neptune conjoint Uranus ne peut accomplir sereinement son travail de compassion. L’amas planétaire en VII et VIII souligne la nécessité d’aller vers les autres à travers maintes crises et difficultés.
2/ La mort
La Maison VIII de Baudelaire en Bélier présente un lourd stellium : Mars en domicile, Vénus conjoint Jupiter, Saturne conjoint Soleil (carré Lune). La mort semble une obsession. Quant à la IV (fin de vie) elle est en Sagittaire avec une conjonction Uranus/Neptune R en Capricorne carré Mars, ce qui n’augure rien de bon.
Baudelaire nous fait ici le compte-rendu d'une expérience hallucinatoire (Neptune) tellement terrifiante qu'il n'écrit jamais le syntagme « mort » mais utilise une isotopie qui y renvoie : « couvercle », « cachot », « corbillards » et « crâne ». Le Scorpion, signe mortifère, est intercepté en III mais Pluton est conjoint Mercure (en Poissons) et pratiquement conjoint Mars : il est évident que l’interception ne repose pas dans l’inconscient de Baudelaire mais se révèle pleinement à sa conscience ; on peut noter chez Baudelaire un parti pris du morbide et du macabre dans nombre de ces poèmes.
En composant ses vers, Baudelaire se veut apollinien. Il organise logiquement son hallucination selon une progression interne, en gardant la maîtrise (Mercure Vierge Maître de I). Cependant, la montée vers la crise nerveuse va exploser dans la quatrième strophe selon un caractère soudain, brutal et désordonné qui n'est pas sans rappeler l'énergie dionysiaque et plutonienne : il est victime d'hallucinations auditives : « les cloches tout à coup sautent avec furie. » Une explosion que Baudelaire nous laisse pressentir dès la troisième strophe, par le jeu des hyperboles et de l'exagération, déformant sciemment les sensations réelles afin de les accorder à son paysage intérieur : « immenses traînées », « vaste prison », « peuple muet ». La crise passée, Baudelaire se reprend après avoir livré combat et retrouve un semblant d'identité, même diminuée.
Quelle est l'origine de l'hallucination ? Le monde extérieur influence Baudelaire : le mauvais temps de la journée a entraîné une forme aiguë et pathologique de spleen. Il enrichit alors son expression poétique de correspondances entre le décor d'une ville sous la pluie et le paysage intérieur de son âme. Il nous donne à voir « le ciel bas et lourd », « le jour noir plus triste que les nuits », « le cachot humide », « des plafonds pourris » (encore Pluton). Ce faisant, il recueille l'instant et le transforme en art.
Voir, regard : le corps est présent. Mais de quelle manière ? Baudelaire fait avant tout allusion à la tête, lieu de la crise : « esprit gémissant », « en se cognant la tête », « au fond de nos cerveaux », « âme », « crâne incliné ». Il sait que là réside son unité psychique : la déréliction, il le sait aussi, relève chez lui de la pathologie. N‘oublions pas que Mars est en analogie avec la tête et que la Lune Noire en Maison I ne l’aide guère à conserver son équilibre. Quant à Mercure en Poissons, il est sous la maîtrise de Neptune conjoint Uranus, conjonction carré Mars. Lutte, explosion, violence, perte de repères.
Remarque : ceci est un extrait d'une de mes dissertations en littérature comparée à l'Université qui ne comportait aucune allusion astrologique, bien entendu !
3/ Tentative de synthèse

