L'eau
Les deux articles sui suivent ont paru dans la revue 3*7*11* du R.A.O. parus dans les numéros de septembre et de décembre 2012.
« Dans nos cavernes, qui nous aidera à descendre ? Qui nous aidera à retrouver, à reconnaître, à connaître notre être double qui, d’une nuit à l’autre, nous garde dans l’existence ? Ce somnambule qui ne chemine pas sur les chemins de la vie, mais qui descend, toujours descend, à la quête de gîtes immémoriaux[1]… »
Introduction
En son temps, voilà une idée nouvelle : Bachelard[2] utilise les quatre éléments des philosophes de l’Antiquité, l’eau, l’air, le feu et la terre dans l’analyse des leitmotivs propres à chaque artiste. Selon lui, tous les grands créateurs paraissent baignés par un élément qui domine leur œuvre, constituant ainsi au-delà du temps et de l’espace une famille symbolique spécifique : « Le poète du feu, celui de l’eau et de la terre ne transmettent pas la même inspiration que le poète de l’air », écrit-il. En effet, selon Bachelard, l’imagination créatrice a besoin d’un support matériel que l’on trouve dans les quatre éléments qui constituent notre monde sensible.
Il a développé cette théorie dans quatre ouvrages : La Psychanalyse du feu (Gallimard, 1938), L’Eau et les rêves : essai sur l’imagination de la matière (Librairie José Corti, 1942), L’Air et les songes : essai sur l’imagination du mouvement (Librairie José Corti, 1943), La Terre et les rêveries de la volonté : essai sur l’imagination des forces (Corti, 1948) et La Terre et Les rêveries du repos : essai sur les images de l’intimité (Corti, 1948).
Nous nous proposons donc, dans une suite de quatre articles[3] dont celui-ci est le premier opus, de montrer en quoi la pensée intuitive du philosophe s’accommode de réflexions astrologiques concernant la structure des éléments, mais aussi et surtout, en analysant ses propres exemples littéraires, d’exposer le parallélisme évident entre compréhension psychanalytique et perception astrologique.
L’Eau – Généralités
Nous commencerons par son ouvrage L’Eau et les rêves, peut-être parce que, après La Psychanalyse du feu, son domaine de réflexion semble s’élargir et sa méthode s’assouplir : il ne s’agit plus de psychanalyse mais, comme l’indique le sous-titre, d’un « Essai sur l’imagination de la matière ». Il avoue lui-même, dans l’introduction de l’ouvrage, que s’il est parvenu à « rationaliser[4] » le feu, il n’en est pas de même pour l’eau : « Les images de l’eau, nous les vivons encore, nous les vivons synthétiquement dans leur complexité première en leur donnant souvent notre adhésion irraisonnée. » L’eau ne peut être circonscrite : « elle est un élément plus féminin et plus uniforme que le feu, un élément plus constant qui symbolise avec des formes plus cachées, plus simples, plus signifiantes ». N’oublions pas que l’eau est la matière première du monde dans différentes cosmogonies et que la notion d’eaux primordiales est quasiment universelle.
Selon Bachelard, et ceci reste à prouver[5],les écrivains romantiques seraient sous l’influence du feu alors que l’eau se développerait dans la seconde moitié du 19e siècle avec des auteurs comme Maupassant : sans limite aucune, « l’être voué à l’eau est un être en vertige. » Il ajoute : « L’eau est la maîtresse du langage fluide, un langage sans heurt, du langage continu, du langage qui assouplit le rythme, qui donne une matière uniforme à des rythmes différents. »
Bachelard commence par les eaux claires, courantes et printanières qui « matérialisent mal » et donnent naissance à des images fugitives et faciles ; il poursuit par les eaux profondes, les eaux dormantes, les eaux mortes, les eaux mélancoliques, « l’eau lourde et noire » d’Edgar Poe[6]. Cette eau morte le conduit au fleuve des morts, au complexe de Caron et au complexe d’Ophélie du noyé qui flotte. Nous voilà chez Pluton dans les eaux du Scorpion. Et, retour aux sources, remontée vers les archétypes symboliques, il aborde les eaux maternelles et féminines du Cancer : l’eau abreuve et nourrit le petit d’homme et le poète. Il n’oublie pas l’eau lustrale, moyen de purification des Poissons car il existe une « morale de l’eau ». Globalement, nous retrouvons ici les trois significations symboliques de l’eau : source de vie (Cancer), moyen de purification (Poissons) et centre de régénérescence (Scorpion).
L’Eau chez deux auteurs du 19e siècle cités par Bachelard
1/ Guy de Maupassant
Maupassant est né le 5 août 1850 à Tourville-sur-Arques, 8 h, AS 18°13’ Vierge, Lune 6°14’ Cancer).
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| TN de Maupassant |
Il est intéressant de constater que Maupassant, comme Bachelard, dispose d’un AS et d’un Mars en Vierge, d’une Maison III (écriture) en Scorpion, d’une VIIe en Poissons et d’une XI en Cancer où trône la Lune en majesté, une Lune trigone Neptune qui signe l’imagination « aquatique » de l’écrivain. Bien plus que l’imaginaire, d’ailleurs : né en Normandie, près de Dieppe, la mer ne lui est pas étrangère. Une mer qui le suivra dans sa profession ; n’obtient-il pas une place de commis au ministère de la Marine ? Propriétaire du yacht "Le Bel-Ami" – du nom du roman éponyme –, il fait des croisières en Méditerranée dont il rapporte les souvenirs dans son recueil de nouvelles titré Sur l’eau (1888), La première nouvelle, qui donne son titre à l’ouvrage, est un conte fantastique. Dans les deux premier paragraphes, l’auteur présente le personnage qui « avait dans le cœur une grande passion dévorante, irrésistible » et introduit l’histoire du vieux canotier mordu par la rivière : « un canotier émergé, toujours près de l’eau, toujours sur l’eau, toujours dans l‘eau. » Le narrateur, quant à lui, qualifie la rivière de « perfide ».
L’un de ses premiers poèmes, « Au bord de l’eau », lui a été inspiré par sa pratique du canotage sur la Seine ou la Marne, où son allure sportive et musclée lui attire les suffrages des belles des guinguettes.
L’eau est liée chez lui à des scènes lourdes d’émotion, angoisse, en prise avec le désir ou la mort (Scorpion en VIII). L’eau fascine et peut détruire. Le narrateur de la nouvelle "Au printemps" déclare : « Si je m’aperçois qu’un homme va se noyer dans un endroit dangereux, il faut donc le laisser périr ? » : l’eau est le symbole de l’amour malheureux et, il faut bien le dire, d’une certaine fatalité.
Dès 1875, à l’âge de vingt-cinq ans, il écrit à sa mère qu’il projette un recueil de « nouvelles de canotage ». Elles formeront le recueil de La Maison Tellier.
Dans Pierre et Jean (1888), la mer est toujours le miroir des émotions. Mais, d’une manière générale, le fantastique est lié à l’eau, surtout à l’eau douce. Dans ses contes, la peur joue le rôle le plus important dans la découverte de la vérité car la mort, comme la peur, est connaissance.
Le trigone Lune/Neptune est certes prioritaire chez Maupassant mais le sextile de la Lune avec le stellium en Vierge (AS, Mars Maître de VIII, Vénus Maître de II et de IX et Jupiter Maître de IV) fonctionne correctement et lui permet de concrétiser l’imaginaire, c’est-à-dire d’écrire. De la même manière, le sextile de la Lune à Saturne Maître de V, codifie ses divertissements « sur l’eau » qu’il entreprend avec sérieux.
2/ Edgar Allan Poe
Poe est né le 19 janvier 1809 à Boston, États-Unis, à 1 h, AS 3°32’ Scorpion, Lune 9° 33’ Poissons[7].
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| TN Maupassant |
Pratiquement inconnu de son vivant, du moins à l’étranger, passé à la postérité en partie grâce à Baudelaire qui traduit ses nouvelles, et à Mallarmé qui traduit ses poèmes, Poe présente une signature où l’Eau est encore plus flagrante que chez Maupassant et bien plus dangereuse. Pluton, Maître d’AS, est en Poissons (Maison V) conjoint Lune, Jupiter et Vénus, carré à leur Maître Neptune, lui-même conjoint à Saturne (Maître de III). Le stellium en Poissons présente cependant un trigone (large) avec l’Ascendant.
Pluton, d’une manière ou d’une autre, représente toujours la mort, factuelle ou symbolique, et donc la peur. Deux éléments que l’on retrouve chez Poe avec ses Contes fantastiques. Marc Saporta[8] écrit : « Cette conception cosmique de la Peur trouve à s’intégrer chez Poe, de préférence, dans l’élément le plus chargé de symboles, celui qui de tous les temps a fourni aux philosophes leurs cosmogonies les plus aventureuses et aux peuples leurs rêves d’évasion les plus prenants ; l’eau, la mer qui, pour certains philosophes de l’Antiquité figurait le devenir de toute la création, la dissolution dont les âmes étaient menacées après la mort. »
Poe écrit de nombreux récits maritimes. L’un de ses premiers contes, qui lui rapporte cinquante dollars, ne s’intitule-t-il pas Le Manuscrit trouvé dans une bouteille ? Il titre l’une de ses nouvelles Descente dans le Maelström. Et, bien entendu, il faut lire Les Aventures d’Arthur Gordon Pym[9], une variation sur le thème du bateau-fantôme.
Ce ne sont que tempêtes rugissantes et déferlement des éléments, « l’eau lourde de l’univers » dont parle Bachelard, qui traduisent une conception cosmique de la peur, parallèle en somme aux profondeurs de l’âme humaine et du subconscient. La peur de la tempête et des éléments déchaînés n’est que la peur du réel et de l’univers, ressort du récit. L’ouvrage est présenté par ses premiers éditeurs comme le récit d’un authentique voyage de découverte aux confins inexplorés de l’Océan Antarctique. L’odyssée énigmatique du jeune homme de Nantucket, le mystère qui plane autour de sa disparition au large du pôle Sud, ainsi que la nature de la « figure humaine voilée » qui clôt le récit ont par ailleurs donné lieu aux interprétations les plus diverses et les plus contradictoires.
Bachelard qualifie cet ouvrage comme « un des grands livres du cœur humain » dans son étude publiée en 1944 pour lui servir d’introduction.
Avec l’escapade à bord de « l’Ariel » commencent « les puissances du cauchemar » ? précise Bachelard qui exprime ainsi son propre Pluton en IX Gémeaux, Maître de III. L’axe III/IX des voyages, petits et grands, réels ou imaginaires, est soumis chez lui à un Pluton lourd, tourmenté et angoissant, source –comme chez Poe – de « rêveries singulières, de cauchemars et d’hallucinations qui révèleront de grandes profondeurs psychologiques. » Plus loin, Bachelard écrit : « L’homme doit sans cesse lutter contre tout un univers. » Voilà bien le drame humain : l’homme seul face au monde que représente Arthur Gordon Pym, l’aventurier solitaire. La rencontre de "L’Ariel" avec un brick mystérieux rappelle, sous une forme au caractère fantastique atténué « le bateau des morts » du Manuscrit trouvé dans une bouteille.
Dans la dernière partie du récit, le continent nouveau qu’abordent les explorateurs, placé sous le signe d’un étrange animal blanc, serait placé, dit Bachelard, sous le signe de « la nature trompeuse » : le décor de l’île de Tsalal est en effet « dynamiquement troublé » dit Bachelard, avec son eau gluante et sa terre savonneuse et noire. Tout cela est bien plutonien, n’est-ce pas ?
C’est ainsi que « l’ivrogne de Baltimore », comme on le surnomme parfois, préfigure à sa manière le surréalisme.
Mais nous ne pouvons continuer sans analyser plus longuement le TN de Bachelard.
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| TN Bachelard |
La Vierge à l’Ascendant le prédispose à décortiquer et classifier et il n’est guère étonnant de lire sous sa plume une tentative de cataloguer les éléments, d’autant que Mercure conjoint au MC en Gémeaux le pousse à communiquer, voir à multiplier son savoir. Un Mercure heureusement freiné par Saturne, Maître de IV, qui pèse sur une structure originelle et lui enjoint de l’exprimer sur le mode quelque peu austère de la philosophie. Mais cette philosophie, on en conviendra, se veut inédite, fraîche et neuve. Voilà le rôle d’Uranus à l’Ascendant. On l’a dit, sa Maison III en Scorpion le pousse à explorer, par l’écriture, les profondeurs de l’inconscient et Pluton se place assez logiquement en Maison IX, tout comme Neptune, Maître de VII, l’Autre, notamment tous ces écrivains dont il se sent proche. En effet, le Maître de XI (l’amitié, la communauté d’âmes) est la Lune, miroir du Soleil (et son Maître dans le cas présent), menteuse et changeante, prompte à susciter les rêves mas aussi les cauchemars (elle est en XII), notamment celui de l’alcool, autre point commun avec Edgar Poe.
Conclusion
Le choix de ces deux écrivains, Poe et Maupassant, n’est donc pas innocent. Tous trois tentèrent d’analyser – et Maupassant particulièrement dans ses nouvelles fantastiques comme Le Horla – les profondeurs de l’âme humaine et de l’inconnaissable. Et il semblerait que l’Eau, plus que tout autre élément, soit pas essence le symbole de l’inconnu.
Le Feu
« Et déjà la gaufre était dans mon tablier, plus chaude aux doigts qu’aux lèvres. Alors oui, je mangeais du feu, je mangeais son or, son odeur et jusqu’à son pétillement tandis que la gaufre brûlante craquait sous mes dents. Et c’est toujours ainsi, par une sorte de plaisir de luxe, comme dessert, que le feu prouve son humanité. Il ne se borne pas à cuire, il croustille. Il dore la galette. Il matérialise la fête des hommes. Aussi haut qu’on puisse remonter, la valeur gastronomique prime la valeur alimentaire et c’est dans la joie et non pas dans la peine que l’homme a trouvé son esprit. La conquête du superflu donne une excitation spirituelle plus grande que la conquête du nécessaire. L’homme est une création du désir, non pas une création du besoin. »
Après avoir étudié la symbolique de l’Eau chez Gaston Bachelard, nous nous proposons dans un deuxième temps d’évoquer l’élément Feu. Rappelons ici que La Psychanalyse du Feu, paru en 1938 chez Gallimard, est le premier des ouvrages consacrés aux quatre éléments, le seul élément que l’auteur est parvenu à « rationaliser », selon ses propres termes, et à intégrer dans une approche purement psychanalytique dont il s’éloignera par la suite : « Pour parler de psychanalyse, il faut avoir classé les images originelles sans laisser à aucune d’elles la trace de ses premiers privilèges ; il faut avoir désigné, puis désuni, des complexes qui ont longtemps noué des désirs et des rêves. Nous avons le sentiment de l’avoir fait dans notre Psychanalyse du Feu […]. Et c’est ainsi que par une psychanalyse de la connaissance objective et de la connaissance imagée nous sommes devenus rationalistes à l’égard du feu. » Est-ce le hasard qui le fait commencer l’étude de cet élément ouvrant le Zodiaque avec le Feu originel du Bélier, la poursuivant avec le Feu de joie du Lion et la clôturant avec le Feu spirituel du Sagittaire ? Sans doute pas…
À cet égard, son thème natal est très convaincant : issu d’une Maison IV en Sagittaire, Jupiter rayonne en XI Lion. La Maison VIII est en Bélier, Maison de toutes les transformations et mutations, que l’on peut sans aucun doute attribuer à la psychanalyse ; Mars se place logiquement en XII, Maison des secrets, mais son Maître, le Soleil, choisit la valorisation de la Maison X : les mystères de l’inconscient seront portés au grand jour.
L’extrait choisi en exergue illustre bien les sensations vécues dans son enfance – et les plaisirs du monde originel – en Maison IV ; déjà, il y évoque « le plaisir du luxe » de Jupiter en Lion, cette « excitation spirituelle » que promet le Feu du Sagittaire. Quant à « manger du feu », n’est-ce pas le prélude à toutes les transmutations ultérieures du Grand Œuvre ?
Ce besoin de rationaliser le Feu provient sans doute de son Ascendant et de sa Lune (Maître de X) en Vierge, signe terrien et pragmatique, qui aime ranger, ordonner, classifier et codifier, comme nous l’avons vu plus haut.
Pour éclairer son propos, il choisit des auteurs germaniques, Novalis (1772-1801), Hölderlin (1770-1843), Goethe (1749-1832) et Hoffmann (1776-1822), accordant cependant une place prépondérante au premier, puisqu’il est au centre du chapitre III, titré « Le complexe de Novalis » ainsi qu’au dernier, qui fait l’objet du chapitre VI, titré « Le complexe d’Hoffmann ». Rappelons ici brièvement que, selon Bachelard, l’image est foyer de rêverie et source de création littéraire. Nous allons donc tenter de cerner comment l’élément Feu se manifeste dans les ouvrages et l’existence de ces écrivains selon l’approche de Bachelard qui s’accorde, on le sait, à l’interprétation astrologique. Lui-même évoque quelque part l’astrologie en ces termes : « Le zodiaque est le test de Rorschach de l’humanité-enfant. »
Remarquons que ces auteurs font partie du romantisme allemand, antérieur au nôtre et que, pour Bachelard, le courant romantique relève du Feu. Voilà une particularité intéressante pour les astrologues qui associerait davantage le romantisme français à Neptune, à l’Eau et à ses rêveries. Mais pour le philosophe, le courant romantique relève davantage de la consumation totale du Moi dans la nature et de sa dispersion dans les choses. Il évoque Empédocle qui se serait jeté dans l’Etna et Héraclite qui considère le feu comme le principe premier d’un univers en perpétuel devenir, symbole de la lutte et de l’unité des contraires, de la vie et de la mort.
1/ Le Feu chez Goethe
Goethe est né le 28 août 1749 à 12 h 01’ à Francfort-sur-le-Main (Allemagne)
Il s’agit du jeune Goethe, celui des Souffrances du jeune Werther, où le héros, victime d’un amour malheureux, finit par se suicider. Le roman est largement autobiographique et Goethe dira plus tard qu’en « suicidant » Werther, il s’était sauvé la vie. Quelle est donc la part de Feu dans le TN de Goethe ?
La Maison V de la création en Bélier révèle la flamme, la passion et enthousiasme marsiens typiques de ce préromantisme allemand, le « Sturm und Drang », que l’on pourrait traduire par « Tempête et Tension ». Mais Goethe dispose d’un Mars en Capricorne, trigone MC et Soleil, avec Saturne Maître de III, qui canalise et structure son énergie : au lieu de ses suicider comme son héros, il écrit. Avec Jupiter maître de II, il dispose de dons indiscutables. L’interception du Lion en IX (la pensée philosophique) est rattrapée par la présence d’un Mercure flamboyant pratiquement conjoint au MC.
Très jeune également, il commence à rédiger son Premier Faust. Le personnage de Faust ne serait-il pas l’allégorie de l’alchimiste qui cherche à fabriquer de l’or, - c’est-à-dire à retrouver sa jeunesse – dans le feu jamais éteint de la Maison II en Sagittaire, le Feu originel de la Maison V en Bélier et celui qui éclaire le monde en IX Lion ? Et que dire de la présence de Méphistophélès, roi des Enfers, de « La Nuit de Walpurgis » et de « La Cuisine de la sorcière » ? La description de cette dernière est précise : « Sur un âtre bas, un grand chaudron bout sur le feu. Dans la vapeur qui en sort apparaissent des formes diverses[10]. » Vapeur d’eau, soit, mais née du feu si propice aux rêveries goethéennes qui ne font nulle distinction entre le Mal et le Bien car, comme chez Héraclite, on y retrouve l’union des contraires.
D’ailleurs, lorsque Bachelard écrit que « les intuitions du feu restent chargées d’une lourde tare », il ne formule pas un jugement de valeur ou d’ordre moral : il laisse entendre que le feu est porteur de fascination et qu’il obsède l’imagination de l’être humain depuis des temps immémoriaux. Le feu est universel, porteur de malheur ou/et de bonheur comme dans cette évocation de son enfance : « Aux dents de la crémaillère pendait le chaudron noir. La marmite sur trois pieds s’avançait dans la cendre chaude. Soufflant à grosses joues dans le tuyau d’acier, ma grand-mère rallumait les flammes endormies. »
Chez Goethe, c’est une guenon qui prend soin du feu, sbire de Méphistophélès ; chez Bachelard, c’est une figure tutélaire et bienveillante. Mais au bout du compte, il s’agit d’entretenir le feu, source de toute création.
2/ Le complexe de Novalis (1772-1801)
Novalis est né le 2 mai 1772 à 9 h 10’, à Oberwiederstedt (Saxe, Allemagne).
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| TN Novalis |
À la différence de Goethe, la production poétique de Novalis est aussi intense que courte. Il fait partie du groupe romantique d’Iéna, que l’on qualifie de « premier romantisme », compose notamment le recueil de poèmes Hymnes à la nuit et laisse inachevé son roman Heinrich von Ofterdingen.
Bachelard écrit à son propos : « Toute la poésie de Novalis pourrait recevoir une interprétation nouvelle si l’on voulait lui appliquer la psychanalyse du feu. Cette poésie est un effort pour revivre la primitivité […]. Voici alors, dans toute sa claire ambivalence, le dieu frottement qui va produire et le feu et l’amour. » Il existe donc un lien entre le feu et la sexualité, ce dont l’on ne peut douter. Il ajoute : « Le frottement est une expérience fort sexualisée. L’amour est la première hypothèse pour la reproduction objective du feu. » Ce frottement est celui des premiers hommes qui faisaient naître le feu en frottant deux morceaux de bois. Le complexe de Novalis serait cette impulsion vers le feu provoqué par le frottement, le besoin d’une chaleur partagée et la conscience d’une chaleur intime. Il cite Novalis : « Vois en mon conte mon antipathie pour les jeux de lumière et d’ombre et le désir de l’Éther chaud et pénétrant. » Novalis serait-il cet amant vigoureux, à la recherche d’une chaude intimité terrestre et de désirs comblés ? Que dit son TN ?
Mars en X Bélier, sextile par ailleurs à Mercure, semble fort à l’aise pour expérimenter ces feux de l’amour. Mais le NS, Chiron et la Lune Noire[11] moyenne encadrent ce Mars : l’expérience sexuelle satisfaisante débouchant sur une intimité chaleureuse semble compromise, même et surtout si elle est hautement désirée : la Lune Noire indique une frustration. Chiron demande de transmuter les valeurs matérielles en valeurs spirituelles et le NS renvoie à un schéma dépassé. Par ailleurs, la VIII, Maison de la sexualité, est en Verseau et Uranus carré Saturne, Maître de VII. Gageons que Novalis ne trouvera pas la volupté avec ses partenaires, d’autant que Jupiter en VII est opposé à Saturne. Et, de fait, Novalis se fiance secrètement en 1795 avec Sophie von Kühn, alors âgée de douze ans, et qui meurt deux ans plus tard. Expérience bouleversante, à l’origine de sa méditation poétique : il se prend à rêver et idéaliser la femme aimée trop tôt disparue, à la recherche de cette inaccessible « fleur bleue » vue en rêve, comme le héros de son roman inachevé : Vénus en Gémeaux maîtrise la Lune, Uranus et le Soleil en Taureau, donnant la main à Mercure pour accorder à Novalis la grâce sanctifiante et salvatrice de l’écriture, une écriture quelque peu mystique où la Nature (Taureau) prend la place de la femme aimée.
En 1798, il se fiance à nouveau avec Julie von Charpentier ; cette fois, c’est lui qui meurt trois ans plus tard, peu avant son mariage, à l’âge de 29 ans, l’âge du premier retour de Saturne.
Ainsi, le Feu sexuel de Novalis et la chaude intimité qui en découle resteront plus ou moins au conditionnel.
3/ Hölderlin (1770-1843)
Hölderlin est né le 20 mars 1770 à 23 h 59’ à Lauffen am Neckar (Allemagne).
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| TN Hölderlin |
Hölderlin sombre dans la folie relativement jeune, non sans avoir produit une œuvre remarquable, notamment un roman, Hypérion, et trois versions d’une tragédie restée inachevée sur le philosophe Empédocle qui, rappelons-le, choisit de se jeter dans l’Etna selon la légende, une manière comme une autre, en plongeant dans le feu originel, de se fondre dans la Nature.
Hypérion, quant à lui, choisit le parti de la vie, au sein de cette Nature qui se fait univers. Dans la mythologie grecque, Hypérion est un des frères des Titans, fils d’Ouranos et de Gaïa ; il épouse sa sœur et fonde une famille dont les enfants sont Hélios (le Soleil), Séléné (la Lune) et Éos (l’Aurore). Selon la Théogonie d’Hésiode, Hypérion représenterait le soleil en son zénith, l’équivalent d’un Dieu primordial.
On pourrait parler de mort cosmique pour Empédocle et de vie cosmique pour Hypérion, le point commun étant cette nostalgie infinie, la Sehnsucht, qu’éprouvent les romantiques allemands – et plus tard les romantiques français – pour une nature fortement idéalisée dont Hölderlin se sent précisément exilé. À la différence de ses héros, il choisit une autre voie, celle de la folie.
Là encore, l’intuition de Bachelard ne le trompe pas : l’Ascendant en Sagittaire avec Jupiter en domicile et le NN, indique chez Hölderlin la force latente de l’élément Feu, contrariée par le carré d’une Vénus en Poissons qui va à la conjonction d’un Soleil à 0° du Bélier, Maître de la IX idéologique, lui-même conjoint à Chiron en Bélier, et tout cela en IV. Gageons que le poète est pétri d’un feu philosophique qui se manifeste violemment, d’autant que Mars, Maître de V (la création) est carré à Uranus, son Maître. L’existence difficile de Hölderlin s’explique en partie par le carré de Chiron à la Lune Noire. Certains y verraient une dette karmique.
Notons que Hölderlin comme Novalis bénéficient du grand trigone générationnel Uranus/Neptune/Pluton du dernier tiers du 18e siècle, planètes non encore découvertes mais qui travaillent l’inconscient collectif et sous lequel naissent, il faut bien l’avouer, de remarquables figures historiques et littéraires.
4/ Hoffmann (1766-1822)
Hoffmann naît le 24 janvier 1776 à 2 h 30’ à Königsberg (Allemagne).
Bachelard fait de Hoffmann l’objet de son chapitre VI, titré « L’alcool ; l’eau qui flambe ; le punch : le complexe de Hoffmann ; les combustions spontanées ». Titre révélateur s’il en est de l’œuvre et de l’existence d’Hoffmann, grand buveur devant l’Éternel, tout autant que ses personnages qui s’adonnent volontiers au punch, soir de fête ou non. L’alcool fort est source d’excitation poétique flamboyante et de fantasmagories étincelantes. Hoffmann écrivit surtout des ouvrages fantastiques, notamment Le Vase d’or, Le Double, Princesse Brambilla et Les Élixirs du diable. Et Bachelard de s’enflammer à son tour : « L’eau de vie, c’est l’eau de feu. C’est une eau qui brûle la langue et s’enflamme à la moindre étincelle. » Ainsi, la douce chaleur intime et rassurante du feu de Novalis se transforme en feu satanique et fulgurant chez Hoffmann, qui n’est pas sans rappeler celui de la cuisine des sorcières de Goethe. Le « complexe de Novalis » fait place au « complexe d’Hoffmann ».
Nous allons étudier son TN en fonction de l’alcool comme source de création poétique luciférienne, à savoir la lucidité foudroyante.
Le significateur premier de l’alcool est Mars (chaud et sec) qui chauffe, brûle et s’enflamme. Mars, Maître de V (la création mais aussi les plaisirs) est en III Verseau (l’écriture), conjoint à Mercure et au Soleil. Ils viennent de passer la conjonction à Pluton, Maître d’Ascendant, qui entraîne Hoffmann vers divers excès mais aussi, en tant que signe purificateur, vers la recherche de ses propres profondeurs. Uranus, le Maître de Mars, est en VII Gémeaux trigone Soleil, une planète qui n’est pas sans rapport avec la vie, et donc cette fameuse eau-de-vie inflammable et volatile (l’Air des Gémeaux). Le trigone de mars à Jupiter R (Maître de II) est séparant et ne plaide pas pour un épanouissement bienfaisant dans l’alcool, ni du reste dans ses finances : il est toujours à court d’argent. Peut-être en laisse-t-il trop dans les tavernes de Bamberg ?
Le NS conjoint à Mars indique un comportement habituel dont l’écrivain a du mal à se défaire, d’autant que le Soleil, Maître du NN, se positionne au NS.
Mais ce Mars est trigone appliquant à Saturne, Maître de III, dignifié en XI Balance, qui permettra à Hoffmann de structurer les images poétiques nées au cours de ses beuveries : fantastiques sans doute mais innovantes à son époque, le tout début du 19e siècle. Du reste, la Part de Fortune en Balance est trigone Uranus et renvoie au Verseau, signe du génie créateur, de l’intuition fulgurante et de la lucidité foudroyante.
Notons également que si Saturne est sextile à Vénus, son Maître, celle-ci, en Sagittaire, est en opposition à son propre Maître, Jupiter, exilé en Gémeaux et significateur de la légalité qu’il ne respecte dans aucun domaine de son existence, principalement dans ses relations amoureuses : Vénus Maître de VI et de VII en Taureau) : excellent musicien et à court d’argent, il apprend le solfège à une très jeune fille, Julie Marc, dont il tombe maladivement amoureux. Il écrit dans son Journal qu’il brûle et se consume pour elle, termes frelatés sans aucun doute mais l’amour a toujours relevé du feu. On peut y voir la conséquence d’une V en Bélier, bien que cet amour impossible et déraisonnable dure de 1809 à 1814 et s’avère donc plus important qu’une simple liaison amoureuse. Au paroxysme de la passion, il prend conscience lucidement que « cet amour de collégien[12] », aussi sublime que chimérique, peut devenir une source artistique.
Relisons ces entrées du Journal pour l’année 1812[13].
• « 4 janvier : Concert. Chanté en duo avec Kch.[14] Après, la « Rose.[15] » État d’âme des plus exotiques[16]. Amères expériences. Choc du monde poétique avec le monde prosaïque. Exaltatione, exaltatione grandissima (sic).
• 9 janvier : Kch. Événements étranges et contradictoires […]. La perte plane sur ma tête et je ne peux l’éviter.
• 19 janvier : Kch. Kch. Kch. O Satanas, Satanas. Je crois voir apparaître derrière ce démon le fantôme de quelque chose de hautement poétique, et en ce sens Kch. ne serait à considérer que comme un masque ».
C’est le masque du héros du Vase d’or, Anselme, et de toute les productions futures d’Hoffmann, lorsqu’il aura surmonté son amour en le sublimant et triomphé de ses sens grâce à un Saturne qui sait donner forme et à un Uranus porteur de l’intuition de cet au-delà inaccessible en ce bas monde.
Il est bien difficile ici de faire part de l’amant, du créateur et de l’alcoolique, mais convenons que le Mars d’Hoffmann, tel que nous l’avons défini plus haut, se révèle dans toute sa plénitude.
Dans L’Eau et les Rêves, Bachelard prête à l’alcool le même pouvoir créateur chez Edgar Poe, alcoolique notoire, mais il lui apporte l’oubli et la mort. En revanche, chez Hoffmann, il est porteur de vie : l’eau-de-vie du punch s’enflamme, née en quelque sorte de la magie alchimique de l’alambic : l’eau flambe et, selon Bachelard, « quand la flamme a couru sur l’alcool, quand le feu a apporté son témoignage et son signe, quand l’eau de feu primitive s’est clairement enrichie de flammes qui brillent et qui brûlent, on la boit. Seule de toutes les matières du monde, l’eau-de-vie est aussi près de la matière du feu. »
Conclusion
On peut s’interroger sur le choix de Bachelard pour illustrer ses propos sur le feu, le romantisme allemand. Pourquoi ne pas lui avoir préféré nos romantiques français comme Chateaubriand, Lamartine, Vigny, Hugo dans sa jeunesse ou encore Musset ? Et, en ce qui concerne l’eau, pourquoi avoir choisi un étranger à côté de Maupassant ? La réponse est sans doute dans son propre TN sur lequel nous revenons ici.
Avec une Maison IV en Sagittaire, signe de l’étranger, Bachelard n’aurait-il pas le souci d’habiter le monde ? Mercure, Maître de I et de X est en IX Gémeaux, conjoint au MC, planète de toutes les curiosités mais aussi habile transmetteur. Jupiter rayonne en XI Lion, sextile Pluton (Maître de III et des recherches psychanalytiques) et Chiron, source spirituelle. Du reste, si Bachelard est un peu tombé dans l’oubli en France, il n’en est pas de même à l’étranger où fleurissent les études bachelardiennes, notamment en Amérique latine et en Extrême-Orient. Lui reproche-t-on sa carrière d’autodidacte, ses débuts comme employé des postes (Mercure), un parcours pour le moins original (Uranus à l’Ascendant) qui fait réfléchir ce philosophe sur l’histoire des sciences ?
Nul n’est prophète en son pays : l’espace culturel français est bien frileux.
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Remarques
La Lune est la grande maîtresse de l’imagination.
Qu’en dit Bachelard dans ses ouvrages ?
- La Terre et les Rêveries du repos, Gaston Bachelard, éd. José Corti, 1948 :
- « L'imagination n'est rien d'autre que le sujet transporté dans les choses. »
- « L'imagination […] trouve plus de réalité à ce qui se cache qu'à ce qui se montre. »
- « Dans la contemplation, l'être rêvant apprend à s'animer de l'intérieur, il apprend à vivre le temps régulier, le temps sans élan et sans heurt. C'est le temps de la nuit. »
- « L'imagination […] trouve plus de réalité à ce qui se cache qu'à ce qui se montre. »
- L'Air et les Songes — Essai sur l'imagination du mouvement (1943)
- « Par l'imagination nous abandonnons le cours ordinaire des choses. Percevoir et imaginer sont aussi antithétiques que présence et absence. Imaginer c'est s'absenter, c'est s'élancer vers une vie nouvelle. »
- « Parce que le poète nous découvre une nuance fugitive, nous apprenons à imaginer toute nuance comme un changement. Seule l'imagination peut voir les nuances, elle les saisit au passage d'une couleur à une autre. »
- « Imaginer, c'est hausser le réel d'un ton. »
- « Dans le règne de l'imagination, l'air nous libère des rêveries substantielles, intimes, digestives. Il nous libère de notre attachement aux matières : il est donc la matière de notre liberté. À Nietzsche, l'air n'apporte rien. Il ne donne rien. Il est l'immense gloire d'un Rien. Mais de rien donner n'est-il pas le plus grand des dons. Le grand donateur aux mains vides nous débarrasse des désirs de la main tendue. Il nous habitue à ne rien recevoir, donc à tout prendre. [...] l'air est la véritable patrie du prédateur. L'air est cette substance infinie qu'on traverse d'un trait, dans une liberté offensive et triomphante, comme la foudre, comme l'aigle, comme la flèche, comme le regard impérieux et souverain. Dans l'air on emporte au grand jour sa victime. On ne se cache pas. »
- « Sur cet immense tableau d'une nuit céruléenne, la rêverie mathématicienne a écrit des épures. Elles sont toutes fausses, délicieusement fausses, ces constellations ! Elles unissent, dans une même figure, des astres totalement étrangers. Entre des points réels, entre des étoiles isolées comme des diamants solitaires, le rêve constellant tire des lignes imaginaires. Dans un pointillisme réduit au minimum, ce grand maître de peinture abstraite qu'est le rêve voit tous les animaux du zodiaque. » Et Bachelard dira ailleurs :
« L’astrologie est le test de Rorschach de l’humanité enfant. »
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[1] Gaston Bachelard, La poétique de la rêverie, P.U.F., 1960
[2] 1884-1962.
[3] En fait, il n’y en aura que deux.
[4] Ici s’exprime l’Ascendant, Mars et la Lune de Bachelard, tous trois en Vierge. Bachelard est né le 27 juin 1884 à Bar-sur-Aube à 11 h, AS 23°20’ Vierge, Lune 2°40’ Vierge.
[5] « Les poètes seuls devraient s’occuper des liquides. » (Novalis, Les Disciples à Saïs)
[6] Bachelard reprendra l’étude d’Edgar Poe dans L’Air et les songes.
[7] Sources : http://www.astro.com/astro-databank/Poe,_Edgar_Allen
[8] Revue Americana, numéro 10, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, février 1993.
[9] Ouvrage publié en 1838 aux États-Unis et en Angleterre, et dont Baudelaire donne une première traduction en 1858. Nous utilisons ici cette traduction (Club français du livre, 1947).
[10] Faust, Goethe, Éditions Montaigne, traduction bilingue Aubier.
[11] Elle est à 29° des Poissons. On m’accordera les neuf minutes qui manquent.
[12] 31 janvier 1811.
[13] Le Vase d’Or, Hoffmann, collection bilingue Aubier, 1942, Introduction de Paul Sucher.
[14] Un des surnoms qu’il donne à la jeune fille.
[15] Nom du cabaret où il a ses habitudes.
[16] Suit le dessin d’une coupe. Il a bu… beaucoup.
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