Réminiscences et horizons intérieurs
1/ Approche littéraire
Daté de 1831, « Fantaisie » de Gérard de Nerval paraît en 1832. Le souvenir et le rêve se confondent dans l’aspiration à un paradis perdu. La réminiscence d’une vie antérieure apparaît dans les deux derniers vers. La croyance à la réincarnation deviendra pour lui une véritable obsession.
Dans la nouvelle Aurélia (1855), relevons cet extrait :
« … Je me vis amené ainsi à me demander compte de ma vie, et même de mes existences antérieures. En me prouvant que j’étais bon, je me prouvai que j’avais dû toujours l’être. Et si j’ai été mauvais, me dis-je, ma vie actuelle ne sera-t-elle pas une suffisante expiation ? Cette pensée me rassura, mais ne m’ôta pas la crainte d’être à jamais classé parmi les malheureux. Je me sentais plongé dans une eau froide, et une eau plus froide encore ruisselait sur mon front. Je reportai ma pensée à l’éternelle Isis, la mère et l’épouse sacrée ; toutes mes aspirations, toutes mes prières se confondaient dans ce nom magique, je me sentais revivre en elle, et parfois elle m’apparaissait sous la figure de la Vénus antique, parfois aussi sous les traits de la Vierge des chrétiens. La nuit me ramena plus distinctement cette apparition chérie, et pourtant je me disais : — Que peut-elle, vaincue, opprimée peut-être, pour ses pauvres enfants ? Pâle et déchiré, le croissant de la lune s’amincissait tous les soirs et allait bientôt disparaître ; peut-être ne devions-nous plus le revoir au ciel ! … »
En 1851, Nerval souffre d’un complexe de culpabilité, se sentant coupable d’une faute grave, mais mal déterminée, qu’il lui faut expier ; seule l’intercession d’Aurélie, sous l‘une ou l’autre de ses multiples formes, peut obtenir pour lui le pardon. L’idée chrétienne de la Rédemption se mêle dans son esprit à la purification des âmes au cours de vies multiples.
N’oublions pas qu’en 1836, Nerval s’éprend de l’actrice Jenny Colon, qui deviendra dans son œuvre Aurélie ou Aurélia. Passion malheureuse, qui a des conséquences dramatiques pour le poète, ébranlant sa raison et déterminant ce qu’il appela « l’épanchement du songe dans la vie réelle. » Il a le sentiment d’avoir aimé, en Jenny Colon, l’image passagère d’une éternelle figure féminine, susceptible de multiples réincarnations. La traduction du Second Faust de Goethe (1840) le confirme dans cette croyance.
Dans son court roman Sylvie (1853), il écrit : « Cet amour vague et sans espoir, conçu pour une femme de théâtre […] avait son germe dans le souvenir d’Adrienne, fleur de la nuit éclose à la pâle clarté de la lune […] Aimer une religieuse sous la forme d’une actrice ! ... et si c’était la même ! – Il y a de quoi devenir fou ! »
Au cours d’un voyage en Orient (1843), il se passionne pour les mythologies et les mystères antiques, pour tous les cultes ésotériques inspirés par la réincarnation des âmes. À son retour il poursuit ses études d’histoire des religions : il est très frappé par le syncrétisme qui tenta, du 2e au 4e siècle de notre ère, de fondre en une seule religion les cultes orientaux d’Isis de Cybèle, de Mithra et du Soleil. Les doctrines occultistes des « Illuminés » du 18e siècle (Cazotte, Restif de la Bretonne) l’attirent également. Ces tendances se manifestent dans la rédaction définitive de son Voyage en Orient (1851).
Notons également que Nerval, sensible au Valois, berceau des rois de France, fut marqué par ses paysages mélancoliques et ses récits légendaires. Dans « Fantaisie » (Odelettes (1) , 1853), il songe au premier 17e siècle. Dans l’univers nervalien le souvenir et le rêve se confondent dans l’aspiration à un paradis perdu. Par ailleurs, on connaît le goût de Nerval pour l’ésotérisme.
Cet « air » dont la magie transporte l’âme du poète dans le passé et même hors du temps, « c’est le chant d’Adrienne dans Sylvie », écrit Nerval dans une note de 1853 (cf. chapitre II de Sylvie.)
Sylvie, extrait du chapitre II
« Je me représentais un château du temps de Henri IV (2), avec ses toits pointus couverts d’ardoises, et sa face rougeâtre aux encoignures dentelées de pierres jaunies, une grande place verte encadrée d’ormes et de tilleuls, dont le soleil couchant perçait le feuillage de ses traits enflammés. Deux jeunes filles dansaient en rond sur la pelouse en chantant de vieux airs transmis par leurs mères, et d’un français si naturellement pur, que l’on se sentait bien exister dans ce vieux pays du Valois, où, pendant plus de mille ans, a battu le cœur de la France […]. D’une voix fraîche et pénétrante, légèrement voilée, comme celle des filles de ce pays brumeux, elle [Adrienne] chanta une de ces anciennes romance s pleines de mélancolie et d’amour, qui racontent toujours les malheurs d’une princesse enfermée dans sa tour par la volonté d’un père qui la punit d’avoir aimée… »
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[1] Une odelette était une forme poétique destinée à être chantée.
[2] Celui de Mortefontaine.
Fantaisie
Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.
*
Or, chaque fois que je viens à l’entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C’est sous Louis treize… - et je crois voir s’étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit ;
*
Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs.
*
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens...
Que, dans une autre existence, peut-être,
J’ai déjà vue – et dont je me souviens !
*
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| TN Gérard de Nerval |
-
AS 5°45' Sagittaire, Lune 2°28' Taureau -
Pour
certains, la dernière vie antérieure se lit dans la Maison XII. Elle est ici en
Scorpion avec le NN. Pluton, Maître du Scorpion est en III (écriture) Poissons
(un certain mysticisme) en trigone assez large à ce NN. Notons que
Jupiter, Maître de I Sagittaire, est en conjonction exacte à Pluton, seigneur
des Enfers. Nerval est soumis à une vision apocalyptique de son Moi qui se
terminera par sa folie, puis son suicide.
Il
écrit avec Uranus, Maître de III en XI… Scorpion. Encore Pluton. Quant à ses
voyages (réels ou imaginaires), ils se placent sous la maîtrise du Soleil
(Maison IX en Lion) en Gémeaux trigone MC (voilà bien l’écrivain inspiré) mais
en opposition à l’AS et à Neptune qui colore sa personnalité de cette brume
qu’il aime tant dans le Valois. Brumes et brouillards de l’âme qui
contrecarrent la vision nette, claire et solaire.
Mercure
conjoint Mars en Taureau lui donne sans doute une certaine énergie
intellectuelle, mais en Maison VI, on ne peut que s’interroger sur sa santé.
Par ailleurs, le NS (acquis antérieurs, inné) se greffe sur cette conjonction.
Il s’agit pour lui de purifier cette Maison VI en se dirigeant vers la XII,
Maison de tous les sacrifices.
Et
c’est bien en écrivant autrement qu’il accomplira son projet de vie grâce à
Pluton en III Poissons. Certes, Pluton est une planète de génération mais sa
conjonction à Jupiter Maître d’AS chez Nerval, lui confère une dimension
personnelle.
* * *
